FRIENDS OF VER SUR MER

Une toute petite page d'histoire en marge de la grande histoire
ou
Autre histoire de vieux papiers trouvés dans un grenier

 

Dans la nuit du 5 au 6 Juin 1944, aux premières heures du débarquement allié en Normandie, le petit village de Ver sur Mer, dans le Calvados, souffrit terriblement du pilonnage de l'artillerie de marine et des bombardements aériens qui préludèrent à l'assaut des unités terrestres. L'aviation alliée lâcha 600 tonnes de bombes sur le village et l'artillerie des navires de soutien compléta le désastre. De nombreuses demeures ancestrales s'envolèrent en fumée sous les obus, dont la grande ferme de mon grand-père maternel.  L'histoire locale nous apprend que sur 451 maisons, 165 furent rasées et 167 partiellement détruites. Il y eut neuf victimes civiles, ce qui, quoique un tribut trop lourd, semble étonnamment peu devant l'ampleur des destructions.

Mon grand-père avait gardé quelque relation épistolaire avec le commander Byrd, pionnier de l'aviation américaine, dont il avait fait la connaissance en 1927 suite à l'amerrissage forcé de l'avion "America" sur la plage de Ver sur Mer après une tentative de traversée de l'Atlantique en vue d'une liaison postale. Mes grands-parents et ma mère sympathisèrent également avec l'officier américain Peter Dewey et sa famille. Hélas, le jeune Peter Dewey fut tué peu de temps après la Libération dans une des premières embuscades tendues par le Viet-Minh (septembre 1945). Ma mère et sa famille m'ont toujours dit qu'il était aviateur. En fait, il était membre de l'OSS (Office of Strategic Services) c'est-à-dire officier des services de renseignements (cf: Peter Dewey).

Madame Dewey mère, fervente pratiquante, offrit au curé de Ver sur Mer un don important pour la reconstruction de l'église. Sa générosité ne dut pas s'arrêter là, car, dans la cathédrale de Bayeux, une plaque commémorative perpétue le nom de Peter Dewey.

Mon grand-père attira l'attention de ces familles patriciennes d'Outre-Atlantique sur la triste situation des sinistrés du village (cf. le document ci-dessus) et Charles Dewey, avec le sénateur de Virginie, Harry Bird, et Mme Warner Snider, une amie de Mme Dewey, directrice de l'American Relief for France, créèrent en Virginie une association amicale: "Friends of Ver sur Mer", afin de venir directement en aide au petit village, sous l'égide de l'American Relief.

Sous l'impulsion des "Friends of Ver sur Mer", des vêtements chauds, des chaussures d'hiver et d'autres équipements de première nécessité furent diligentés par l'American Relief à destination de Ver sur Mer. 


Suite chaleureuse à la première prise de contact, avec toutes sortes de noms illustres des USA de l'époque:

Bien le style de cette lettre paraisse étonnamment pompeux et amphigourique aux américains actuels, elle n'en apportait pas moins de très bonnes nouvelles.

La correspondance entre mes grands-parents maternels et le "Garden Club of Virginia" devint au fil des années fort amicale et se poursuivit jusqu'en 1949 environ.

Lorsque l'auteur de ces lignes naquit en 1951, il fut nommé Eric Peter en souvenir du jeune officier américain tué au combat.

 

Un bordereau d'envoi de plusieurs colis de vêtements chauds pour l'hiver:


 

Un message d'enfant qui traversa l'Atlantique dans un colis:

 

For whomever receives this package,
I wish she would write to me. I am an American but you can write in French.
 I am 13 years old. My mothers club is sending clothes to many French children.
I live at: 328 Virginia Avenue Front Royal, Virginia, U.S.A.
(Backside) : My name is Patricia Baker

Espérons qu'une aussi gentille invitation n'est pas restée sans réponse...

Une lettre à ma mère (qui servait probablement d'interprète) datant de novembre 1946:

Une lettre privée de 1949:
Transcription

Warner Snider
Leesburg
Virginia

 

July 20, 1949

Dear Mr. XX

It seems a very long time since I have written you or heard from you. But you and madame XX and your daughter have been often in our thoughts. From friends who have visited France we have good reports of the progress being made in that dear country, and we are glad. Sure we realize it will be a long time before things are normal again.

Mrs Dewey told me of a fête to be held some time this month and said that Mr le Curé was in charge. I hope the four packages of rice, coffee and sugar I sent him arrived in good time. He wrote me when the first one arrived and I have had no further word. On the 28th of July Mr and Mrs Dewey (and also Mrs Eustis who has a lovely summer home near Leesburg) sail for France. Mr Dewey has been very ill but has made a marvellous recovery. How I wish my husband and I could have so arranged it as to be present at the church on August 28th ! But you will realize because you have owned farms that this is a very busy time for us and the weather has made every thing more complicated a long draught and then just when the grain ready to be threshed torrential rains so that we must wait until the shocks dry out.

I brought to American Aid to France two large (...) of clothing (to the curé) for distribution to the old and poor of Ver sur Mer at the time of the services (before or after). I shall be thinking of all your dear people on that day and wishing that I could be there. I have not gave up hope of coming to Ver sur Mer one of these days. Who knows, perhaps next year !

I do want you to know, Mr XX, how real a friend you have become. You and your families will always be connected among those friends in France, who though unseen (after all we have your photographs) are well known and loved.  Some day I will send you a snapshot of myself.

Please express for me to all those to whom I owe aknowledgements for the tribute to the Garden Club of Virginia on August 28th my sincere and affectionate thanks and make them realize that Ver sur Mer is the place in France which is closest to our hearts.

With my good wish for you and your family

From

Susa Stanton Snider

 

CONCLUSION

Il existe à Ver sur Mer un petit musée consacré à la tentative de vol transatlantique de Richard Byrd et à son avion l'America (ce musée documente, avec beaucoup de souvenirs d'époque, une épopée insolite et complètement oubliée de l'Histoire de l'Aviation et on ne saurait trop par ailleurs en recommander la visite à tous les amateurs de curiosités historiques).

Nous avons pris contact avec le dynamique conservateur de ce musée, qui nous reçut très aimablement et s'intéressa à ce minuscule mais chaleureux épisode des relations locales franco-américaines. Nous lui proposâmes de mettre ces documents à sa disposition pour les collections du musée et il promit d'examiner la question avec le Conseil d'Administration.

Cependant, lors de notre rencontre suivante, notre proposition fut courtoisement déclinée. Les clients du musée, aussi bien que son Conseil d'Administration, montraient beaucoup plus d'intérêt pour les hauts faits guerriers et les tempêtes d'obus que pour les généreuses initiatives des ladies des comités de patronage virginiens. Le musée se diversifiait, mais plutôt dans le sens d'expositions de souvenirs militaires, que la clientèle des anciens combattants fournissait abondamment. Le conservateur nous conseilla de garder ces humbles et pacifiques reliques à titre privé. La guerre faisait plus recette que la charité.

C'est ainsi que ces témoins d'un élan sincère, quoique parfois naïf, de générosité retournèrent à l'oubli d'où nous les avions un moment dérangés, tandis que les expositions de bric-à-brac guerrier à la gloire de la puissance dévastatrice des armées alliées continuaient à proliférer à satiété dans la région.

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 A propos de Peter Dewey

(Les détails suivants, relatifs aux contacts entre la famille Dewey et la Normandie, m'ont été aimablement communiqués en 2013 par Michel et Geneviève Tribehou. Mme Tribehou tenait ces souvenirs de sa mère, Mme Dufour, qui avait travaillé dans la propriété que les Dewey possédaient à Longues sur Mer (Calvados), et avait des relations cordiales avec leur entourage familial):

Mr et  Mme Dewey avaient acheté en 1932 une propriété (l'abbaye Sainte Marie) à Longues sur Mer près de Bayeux; ils l'ont gardée jusqu'en 1964 date à laquelle, la mort dans l'âme, ils l'ont vendue. Ils y venaient chaque été et Peter, qui travaillait pour un journal à Paris dans les années 40, y venait très souvent. Des souvenirs de Longues sur Mer furent évoqués dans un livre écrit par Peter, "As they were", publié par sa famille après son décès. Depuis 1964, l'Abbaye appartient à la famille d'Anglejan.

Mr et Mme Dewey et l'ensemble de la famille venaient presque tous à l'abbaye de Longues sur Mer chaque été.

Mr et Mme Dewey ont eu 4 enfants Suzette, Charles, Louise et Peter qui était le plus jeune. ils ont eu 11 petits enfants; 7 sont encore vivants. Un de leurs petit-fils, David Alger, est décédé le 11 septembre 2001 dans l'attentat contre le World Trade Center à New York.


La fille unique de Peter Dewey, Nancy, qui avait 18 mois quand son père est décédé, venait aussi à l'abbaye avec ses cousins quand elle était adolescente et aimait parler de son père avec Mme Dufour qui l'avait bien connu; Nancy a sa résidence principale à New York.

Du point de vue politique, les Dewey et leurs amis étaient républicains et il semble que leurs petits-enfants le soient encore de nos jours car certains d'entre eux ont apporté leur soutien financier à l'adversaire d'Obama. Ceci pourrait peut-être expliquer une certaine froideur, peu compréhensible de prime abord,
à l'égard de ces associations caritatives, voire une certaine ingratitude. On se rappelle l'influence du Parti Communiste (opposé par principe à l'aide économique en provenance des USA) dans l'opinion française de l'époque.

L'amiral George Dewey (qui a laissé un nom dans l'histoire pour sa victoire écrasante contre l'escadre espagnole à la
bataille de la baie de Manille durant la guerre hispano-américaine en 1898) et Thomas E. Dewey, qui fut gouverneur de New York de 1943 à 1954 et deux fois candidat malheureux aux élections présidentielles (en 1944 contre Franklin Roosevelt et en 1948 contre Harry Truman),  sont des cousins éloignés de Charles S. Dewey. Il était lui-même membre du Congrès et habitait Washington.

Sa tombe se trouve au cimetière d'Arlington à Washington DC.